Par une nuit plus obscure que le fond des abysses
Ciel et terre se fondaient sans le moindre interstice
Un marlin argenté bondissait hors de l’eau
Comme une flamme allumée juste au-dessus des flots
Il le faisait ainsi sans être fatigué
Poursuivant une quête dont sa vie dépendait


Une tortue vieille et méfiante vint à passer
Admirant l’athlète, sa vitesse et sa beauté
Mais étonnée par le manège du poisson
Lui demanda le quid de cette agitation
« Tu es impressionnant mais que cherches-tu mon beau ?
A sauter vers les cieux pour retomber dans l’eau
Ta quête m’est insoluble je n’en saisis le sens
Tu es si excité comme saisi de démence »
Sans s’arrêter ni ralentir son mouvement
Le poisson haletant répondit en soufflant
« Je fais ça chaque nuit pour chasser l’obscurité
Car en perçant le ciel j’aide le jour à briller
Chaque trou est une étoile qui m’aide dans mon combat
Chaque saut est une lueur qui passe la nuit à trépas
C’est une religion qui éloigne les ténèbres
Je suis son serviteur et mon rostre est mon glaive »
La tortue parle peu mais raisonne en silence
Elle sait que la croyance déteste la connaissance
« Qui a pu donc te dire une sornette pareille ?
Tu ne maîtrises en rien le retour du soleil
Il revient chaque matin que l’on s’agite ou non
Et il ne dépend pas du mouvement des poissons »
Le marlin énervé haussa un peu le ton :
Je le tiens de mon père qui le tenait du sien
Je ne prendrai pas le risque de changer mon destin
Car on ne sait jamais si cela était vrai
J’aurais une récompense pour ce que j’aurais fait
Débattre est inutile réfléchit la tortue
Ce marlin est trop sot avec son nez pointu
Le jour revient toujours sans qu’on y fasse rien
A cela rien à faire que d’attendre demain
La tortue s’en fut retrouver sa peuplade
Pendant que le marlin poursuivait sa croisade
Celui qui du ciel recevait les consignes
Trouvant en chaque lueur un improbable signe
Fier guerrier du néant et croyant intégriste
Jusqu’au petit matin sut faire son tour de piste
Et puis le jour revint plus brillant que jamais
Laissant deux animaux pleinement satisfaits
« J’avais donc raison » conclurent les débatteurs
Chacun de leur côté, poursuivant leur labeur


Ne cherchez pas de morale à cette histoire
Chacun sa vérité, il nous suffit d’y croire
Il faut prendre le chemin et puis tracer sa route
On trouve toujours un signe pour éloigner nos doutes